L’Italie frappe fort. Pour la première fois depuis que la confidentialité est devenue une arme politique autant qu’un droit utilisateur, Rome inflige à Apple une amende de 98,6 millions d’euros pour la fonction App Tracking Transparency présente sur l’iPhone et l’iPad. Ce n’est pas un caprice réglementaire : l’Autorité italienne de la concurrence (AGCM) estime que la manière dont Apple a imposé cette fonction a créé un désavantage anticoncurrentiel pour les développeurs et les annonceurs, et qu’elle génère des avantages économiques potentiels pour la firme, même si la protection des données des utilisateurs semblait le seul objectif affiché.
Le débat bascule du technique au politique : s’agit-il d’un choix légitime de défense de la vie privée ou d’un verrouillage du marché masqué par la rhétorique de la confidentialité ? Les conséquences vont bien au‑delà du fragment d’écran qui demande si l’on accepte d’être suivi. Elles posent une question simple et lourde : qui peut imposer les règles du jeu sur la plateforme la plus influente du mobile ?
À retenir — l’essentiel en un coup d’œil
• Sanction : 98,6 M€ infligés par l’AGCM à Apple. 🔴
• Objet : la fonction App Tracking Transparency jugée excessive pour les développeurs. ⚖️
• Enjeu : double consentement via les invites ATT + consentement lié au RGPD, jugé nuisible aux acteurs tiers. ⚠️
• Réaction : Apple annonce qu’elle fera appel et défend la vie privée des utilisateurs. 🔁
• Contexte européen : ce dossier s’inscrit dans une série d’actions réglementaires sur la plateforme et le marché des apps. 🌍
Pourquoi l’Italie considère la fonction de confidentialité comme une pratique anticoncurrentielle
L’AGCM a passé en revue le mécanisme : depuis iOS 14.5, les apps doivent demander l’autorisation avant de suivre un utilisateur à travers d’autres apps et sites, via la fenêtre App Tracking Transparency. Si l’utilisateur choisit « demander à l’app de ne pas suivre », l’identifiant publicitaire devient inaccessible. Sur le papier, une victoire pour la protection des données.
Mais l’autorité italienne note une conséquence pratique : les utilisateurs dans l’Union européenne reçoivent deux sollicitations similaires — l’invite ATT et l’autorisation liée au RGPD — ce qui crée un double consentement et alourdit les démarches des développeurs. L’AGCM juge cette superposition disproportionnée et préjudiciable à la concurrence. Cela suffit pour parler d’abus de position dominante.
Le message clé : on peut protéger la vie privée sans fausser la concurrence. C’est ce point que l’AGCM met en avant.
Ce que la décision change pour les développeurs et les annonceurs
Pour illustrer le conflit, prenons Marta, développeuse indépendante à Milan. Son application de recettes a vu chuter ses revenus publicitaires dès l’arrivée d’ATT : les taux de consentement s’écroulent, les campagnes perdent en efficacité, et les revenus publicitaires deviennent imprévisibles. Elle n’est pas seule.
Selon l’AGCM, Apple aurait pu atteindre le même niveau de confidentialité par des méthodes moins restrictives pour la concurrence, évitant ainsi le fardeau additionnel imposé aux développeurs. L’argument est simple : la protection des utilisateurs ne doit pas se traduire par un avantage compétitif déguisé.
Ce renversement met la pression sur les modèles économiques basés sur la publicité ciblée et force les développeurs à repenser la monétisation. C’est une sanction qui résonne dans toute l’industrie.
Où cela s’inscrit dans la vague de réglementations européennes
Cette décision italienne n’apparaît pas isolée. L’Union européenne multiplie les interventions sur les plateformes : le DMA reste ferme et les régulateurs nationaux observent chaque mouvement. Apple a intensifié ses discussions publiques avec les autorités européennes ces derniers mois, signe que la bataille est à la fois juridique et diplomatique.
Plusieurs signaux convergent : des enquêtes en Pologne sur la politique de confidentialité, des contestations autour des exigences de l’App Store et des débats sur l’applicabilité des règles de marché numérique. Ces tensions témoignent d’un basculement — la question n’est plus seulement technique, elle est institutionnelle.
La leçon : la règlementation européenne se durcit, et les plateformes doivent anticiper un contrôle permanent.
- 🔍 Ce que veulent les régulateurs : un marché des apps ouvert et non faussé par des mécanismes internes.
- 🛡️ Ce que réclament les développeurs : des règles claires sans charges disproportionnées.
- 📱 Ce que redoutent les utilisateurs : perdre des fonctionnalités gratuites si les revenus publicitaires chutent.
Réactions et suites probables — l’appel d’Apple et la prochaine étape
Apple affirme qu’elle fera appel et défendra la protection des données comme priorité. La firme argue que sa propre absence de suivi entre apps rend la question asymétrique et que l’interdiction de l’invite pour ses propres apps s’explique techniquement.
Attendez-vous à une bataille juridique longue : appels, contradictions entre interprétations nationales et orientations de l’Union, et peut‑être des ajustements techniques d’Apple pour éviter les « double invites ». Le message des autorités est clair : l’argument de la vie privée ne doit pas servir de prétexte à verrouiller le marché.
La décision italienne pourrait pousser Apple à revoir l’implémentation d’ATT dans l’UE ou à proposer des alternatives moins restrictives. C’est un tournant pour l’écosystème mobile.
Conséquences pratiques pour un utilisateur d’iPhone
Pour le titulaire moyen d’un iPhone, rien ne change immédiatement : les invites de confidentialité restent actives et la protection des données reste déclarée. Mais l’évolution juridique pourrait déboucher sur des modifications de l’interface : moins d’invites superposées, ou un nouveau flux de consentement harmonisé avec le droit européen.
En clair : attendez des changements d’affichage et, potentiellement, une disponibilité différente des services financiers des développeurs qui reposent sur la publicité ciblée. Restez vigilants sur vos paramètres de vie privée.
Cette affaire rappelle que la protection des données est aussi une bataille de pouvoir économique.
Liens utiles pour creuser le dossier
Pour comprendre le contexte européen et les réactions, lisez des enquêtes et analyses récentes :
- 🔗 échanges avec les régulateurs
- 🔗 enquête polonaise
- 🔗 suppression d’apps de suivi
- 🔗 position de l’UE sur le DMA
- 🔗 contestations d’Apple sur le règlement
- 🔗 questions britanniques sur l’accès aux données
Ce que les développeurs peuvent faire maintenant
Les options pratiques sont claires : diversifier les sources de revenus, investir dans des modèles d’abonnement, améliorer la qualité de la première expérience pour obtenir plus de consentements, et prévoir un cadre légal dans leurs conditions d’utilisation. Les recommandations opérationnelles sont à la portée de petites équipes.
Concrètement :
- 💡 Réduire la dépendance à la publicité ciblée en testant des offres payantes.
- 🔁 Mettre en place des métriques de rétention qui ne reposent pas sur des identifiants publicitaires.
- 📣 Rendre la valeur du consentement explicite pour convaincre l’utilisateur de participer au modèle économique.
La stratégie gagnante sera pragmatique : protection de la vie privée sans renoncer à la viabilité économique.
Dernier mot avant la suite
L’Italie vient d’envoyer un signal fort : la confidentialité ne dispense pas d’une responsabilité concurrentielle. Les grandes plateformes vont devoir montrer qu’elles savent concilier sécurité des données et règles de concurrence. L’affaire promet des rebonds juridiques, des ajustements techniques et une redéfinition du pouvoir sur les écosystèmes mobiles. C’est un changement d’époque — et il faudra suivre chaque décision pour mesurer l’ampleur réelle de la sanction.






